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Anne-Louise Deherme (1831-1910). La mère.

Une vie de misère.

Une enfance à Paris

Aller au contenu principal Anne-Louise Deherme est née le 22 janvier 1831 à 7 heures du soir à Paris, (arrondissement ancien, 2) 50, rue des Noyers[1], fille de Louis Gabriel Charles François Deherme (1805-1880), âgé de 26 ans, typographe  et de Marie-Anne Marlin (1808-…), 23 ans, son épouse. Pierre Georges Marlin, aïeul maternel, 49 ans, prote d'imprimerie, 27 rue de la Harpe (5ème) et Antoine Gossard, 35 ans débitant de tabac, 44 rue Saint-Jacques, sont les témoins signataires de la déclaration d'état civil.

Ses parents, mariés le 10 février 1827,  sont installés dans le quartier des Batignolles. Un fils, Louis Pierre naît le 15 mars 1828, un deuxième Charles Georges, le 9 novembre 1833 et dix ans plus tard, Marie Louise, née le 27 octobre 1844, clôt le registre des naissances.

Le milieu familial d’Anne-Louise est celui de l'imprimerie (son père est typographe, son aïeul maternel Pierre-Georges Marlin, prote). Dans ce milieu instruit, familier de l’écriture et du livre, elle apprend à lire et écrire, chose rare pour une fille à cette époque, un bon viatique pour faire sa vie. Pendant que ses frères découvrent la typographie, elle est destinée aux métiers d’aiguilles : elle sera couturière, modiste et aussi lingère.

L'aventure toulousaine. Une vie familiale chaotique (1850-1865).

Vers ses 20 ans, elle s'installe à Toulouse. Pourquoi, pour qui ? Les archives Deherme parlent peu. Elle partage sa vie avec Eugène Rougé (...-1876) et font mariage en 1854 à Ussat (Ariège). Quinze années de vie commune, de travail, mais surtout une vie de parturiente où les grossesses réussies voisinent avec les accidents de couches.

Anna, la sœur aînée ?

             Anna est une énigme. Aucun renseignement sinon quelques allusions au détour d'une lettre. Sous quel nom est-elle déclarée à l'état civil. Mystère. Si l'on prend le calendrier des diverses naissances connues de sa mère, combiné avec le temps de grossesse, l'allusion à un mariage avant 1872 (et un âge au mariage d’au moins 15 ans), elle ne peut qu'être née en 1852 ou avant.

Louis Deherme (1853-1912)

Louis né le 6 août 1853, fils naturel, de père inconnu. L'état civil précise : né à 6 heures du matin, 5 place Pouzonville, en présence de Rose Massip, sage femme. Les témoins pour la déclaration sont Hugues Fabre, journalier, âgé de 54 ans, 34, rue des Blanchers et Gabriel Izard, rentier, 70 ans, 9, rue de la Croix.  Elle est couturière.

Eugène Rougé (1854-1856).

Né vers le 8 septembre 1854, décédé le 8 mars 1856. Déclaration de décès le 9 mars 1856 à midi de Eugène Rougé, décédé le jour d’hier à midi, parc de Mr. Vidal, route de Castres, âgé d’un an 6 mois, domicilié à Toulouse, fils de Eugène Rougé, horloger et de Anne Deherme, mariés, 18, rue des Lois. Le certificat est établi par le docteur Broquière. La déclaration du décès est faite par Bernard Perry, âgé de 49 ans, domicilié 8, St Joseph de la Grave et par Pierre Esparbié, plâtrier âgé de 27 ans domicilié 34,rue des cimetières, signataire de l'acte.

Jules Rougé (1857-....)

Le 19 janvier 1857, naissance de Jules Rougé à 2 heures du soir, au domicile des parents, 18 rue des Lois à Toulouse, fils de Eugène Rougé horloger et de Anne Deherme, mariés[2]. Le témoin de la déclaration est Théodore Coudon, horloger, 30 ans.

 Eugène Norbert (1861-1923)

Eugène Norbert, né le 24 février 1861 à Toulouse de parents inconnus, mort le 8 février 1923 en son domicile à 13 heures.

Né à 8 heures du soir, 35, rue des Arts, fils de père et de mère inconnus ainsi que l’a déclaré Jeanne Goulesque domiciliée 37, rue Saint Jérôme, sage femme présente à l’accouchement. Obligée par les circonstances, Anne-Louise Deherme abandonne son enfant mais elle écrit un billet de reconnaissance au cas ou elle souhaiterait le retrouver, déchiré en deux : une moitié pour elle, l’autre dans la couche du nouveau né. Abandon qui signe une grande misère morale et matérielle.

 


 

Retour à Paris : 1865-1880. Une vie de misère. À la recherche d'un travail.

Sur cette période, quelques documents renseignent sur la vie d'Anne Deherme : une lettre de Rémy (été 1874) , son beau-frère et deux autres d'Eugène Rougé (14 janvier 1875, 1eravril 1875, , deux petits billets de son père, un acte d'état-civil).

On sait peu de choses sur cette période. Seules trois lettres offrent quelques repères : une, échangée avec son beau-frère, Rémy, frère d'Eugène Rougé et deux par Eugène.

Vers 1865, Eugène Rougé quitte le foyer familial. Il part avec une autre femme, Madame Morel, la femme de son patron. Anne décide de retourner à Paris où elle peut compter sur ses proches pour l'aider.

Deux enfants

Elle donne naissance à une fille Marie-Jeanne (19 février 1865-8 mars 1865) qui décède après trois semaines.

Marie Jeanne Deherme (19 février 1865-8 mars 1865).

Née le dimanche 19 février 1865 à deux heures du matin, chez sa mère, rue Lacroix (17ème)  quartier des Épinettes, fille naturelle non reconnue de Anna Deherme, 34 ans, lingère, non mariée, de père non dénommé. La déclaration d'état civil est faite par la dame Aubin, née Alaé Augues, 45 ans, 7 bis, rue Saint-Georges, sage femme qui a procédé à l’accouchement et a présenté l’enfant en présence de Camille Aillebout, 63 ans, Pierre A Wuillet, tailleur.

Elle décède deux semaines plus tard, le mercredi 8 mars  à 2 heures du soir au domicile de sa mère, rue Lacroix. Les témoins pour l'enregistrement sont  Alexandre Arcade Périnat 32 ans, fondeur en fer, 7 rue Berzélius et Louis Denis Jacquart 44 ans ébarbeur de fonte, même maison. Enterrée dans la fosse commune selon le registre journalier d'inhumation (Archives de Paris).

Deux ans plus tard, le c'est la naissance de Georges Deherme.

A la recherche d'un travail

En 1865, elle fait métier de lingère. Deux ans plus tard, à la naissance de Georges, elle habite 89, rue Legendre, quartier des Batignolles. Elle est sans profession et la décennie 1870 est une période de chômage fréquent. La guerre franco-allemande de 1870, le siège de Paris, la guerre civile au temps de la Commune provoquent une grave crise du travail dans la capitale. Sans grandes ressources matérielles, Anne Louise quitte Paris et s'installe, avec Georges, à 85, rue de Paris à Charenton-le-Pont.

A l'automne 1874, toujours sans travail elle écrit à son beau-frère Rémy qui vit en famille, marié, trois enfants deux filles et un garçon, l'ainée a 10 ans, le cadet 6 ans et la plus jeune 2 ans ½. Il habite Tarascon-sur-Ariège. Elle veut des nouvelles d'Eugène, son mari et annonce vouloir quitter Paris pour trouver du travail. Femme de chambre, modiste, dame de compagnie, tout lui semble bon. Dans sa réponse du 17 septembre, il dit n'avoir pas de nouvelles récentes, juste une lettre après la guerre où Eugène annonce avoir quitté Monsieur Morel et qu'il voyage pour un fabricant de chaînes. Il n'a pas l'adresse de son frère. 

L'idée de quitter Paris pour trouver du travail lui semble bonne mais femme de chambre, un "emploi qui ne peut vous aller d'aucune façon". "Venir vous établir comme modiste à Tarascon". Peut-être une bonne idée, "le succès ne serai pas douteux, une ouvrière venant de la capitale a toujours chance de travailler".

Cette lettre est l'occasion de rappeler le souvenir d'anciennes connaissances communes. "Voyez vous Marie Merplie , Madame Lussiez, Auguste Pecqueur. Madame Etienne était de passage à Tarascon ; Dufour est-il encore en vie ?".

Rémy espère que la séparation ne durera pas. Anne-Louise et Eugène se retrouve au début 1875. Deux lettres nous renseignent  sur le travail d'Eugène et les recherches envisagées par Anne-Louise.

Dans la première en date du 14 janvier 1875, envoyée de Rethel, Eugène doute des capacités d'Anne-Louise à faire représentante de commerce. Il lui conseiller d'aller voir Mr. Tabary, un négociant. "Je ne vous  crois pas bien disposée  à entreprendre le dur métier  des voyages". Il donne l’image d’une femme fragile, capable de se laisser aller. « Je crois pourtant que si vous pouviez trouver en vous l’énergie nécessaire, vous en avez toutes les capacités ». Sa faiblesse, l’écriture. « Le plus difficile serait peut-être de prendre le temps pour écrire lisiblement ». Eugène a promis à Tabary de la recommander à tous ses clients. En plus comme garantie supplémentaire auprès de Tabary la caution familiale vaudra mieux que de lui donner « des renseignements qui seraient difficiles à prendre ». Une allusion à sa vie privée en pointillé ou à sa vie professionnelle hésitante ? « J’attends votre décision et le résultat de votre démarche chez Mr Tabary. Je le désire sans l’espérer ». Un dossier était chez Mr. Dupuis. « S’il peut vous être utile pour faire taxer les frais, vous pouvez le faire prendre. J’ai payé en tout à Mr Dupuis 135 francs plus 800 francs plus 172 ». Quel est ce dossier, ces frais ?. En signature, un mot affectueux.« j’embrasse Georges de tout cœur et vous prie de croire à ma sincère amitié ».

Trois mois plus tard, le 1er avril 1875, une autre lettre à en-tête :  Maisons Franjus, Raison, Boyer 15, rue des Fontaines-du-Temple Paris qui font commerce en horlogerie et pendules. Eugène est représentant pour ces maisons. "Ma chère Anna", il tient des propos qui manifestent une grande proximité "as-tu été à la chambre battre les matelas" ; inquiet  de ne pas avoir de nouvelles d'un commanditaire, il demande un service à Anna "tu serais bien aimable et tu prendrais véritablement nos intérêts si tu  voulais lui faire une visite". Cette lettre qui renseigne sur sa santé, ses séjours, est empreinte de sympathie pour la destinataire et toute la famille. "Embrasse bien Anna pour moi et Georges et tous les enfants je te remercie de ce que tu as fait pour moi". En signature "Ton ami Eugène".

Le travail d'Eugène assurait le quotidien. Sa mort brutale l'année suivante  laisse Anne et Georges sans ressources. Elle décide de quitter Charenton-le-Pont et de revenir à Paris près de sa famille. Toujours sans emploi, elle reçoit l'aide de son père Louis-Gabriel Deherme.. Un petit billet en date du 4 mars 1876 ,"en mémoire de ta mère", lui promet 20 francs pour son déménagement et son loyer et l'autorise à venir toucher 20 francs tous les 3 mois. « C’est tout ce que, en me privant, je peux faire pour toi. Courage et fais en sorte  de trouver un emploi quelconque ... que d'ouvrières à Paris voudrais trouver ce soulagement". Le père la met en garde. Face à tes problèmes financiers « économise toi en conséquences et pas de rêves de grandeur ». Cette aide dure quatre années mais le 17 avril 1880, il cesse toute aide. Rattrapé par la misère, il est très peiné de ne pouvoir continuer. Il décède peu de temps après.

Marseille

Cette période donne peu de répères sur le parcours de vie d'Anne Deherme.

En 1881, elle reconnaît son petit dernier, Georges. Comment expliquer cette reconnaissance tardive. Des raisons pécuniaires ? Pour la légitimation d'un enfant naturel, l'administration prévoit une prime de 60 francs. Est-ce la raison de cette maternité administrative tardive ? L'acte officiel la fait modiste.

En 1884, elle s'installe à Marseille avec Georges pour au moins deux ans. En 1895, elle est à Bordeaux, comme employée de maison.

1898-1910. Le soutien de Georges.

En décembre 1898, elle marie Georges sans grand enthousiasme pour le choix de la conjointe. À 67 ans, une photo pour marquer l'évènement, montre une belle vieille dame au visage bien marqué par la vie. Georges lui propose de partager le logement de sa femme. Elle refuse car elle redoute la vie commune avec sa belle-fille. Il y a peu d'affinités entre la belle-mère et la jeune mariée comme en témoigne une lettre. Elle suggère même à Georges de se réinstaller à l'Université populaire.

Elle a une santé fragile. Ces tracas ne l'empêche pas d'être une mère attentive. Dans une lettre fin 1908-début 1909, elle n'oublie pas la fête de son fils dont elle est fière. "je te souhaite de tout cœur bonne chance pour ton livre",  allusion à la publication de L'Afrique occidentale récemment paru. Elle évoque une santé précaire mal de tête et mal aux yeux. Elle vit à Paris mais souhaite retourner à Vincennes pour alléger son loyer. Georges est le conseiller, le seul sur qui elle compte pour l'aider. C'est ce qu'elle dit dans deux petits billets, d'une écriture incertaine. L'un du 12 décembre 1908. Elle réside alors Villa Saint-Joseph, 75 avenue de la République à Vincennes. Même billet avec la date initiale raturée, avec adresse 75, avenue de la République Vincennes., en date du 1erjanvier 1909. Pour éviter une réécriture, exercice délicat, rayure de l'année 1909, remplacée par 1910.

Elle décède le 6 avril 1910 vers 10 heures du matin.  Malade, elle était hospitalisée à l'hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine. Peu de personnes à son enterrement. Parmi ses enfants, seul Georges est présent. Anna est décédée, Louis est empêché, Jules est en Algérie et pas de nouvelles d'Eugène. C'est Georges qui prend en charge la cérémonie.

Pour citer cet article.

Mercier, Lucien. 1831-1910. Anne-Louise DEHERME. La Mère, [en ligne] https://www.georgesdeherme.fr/ (consulté le 18 avril 2024)

Archives privées Georges Deherme. Archives de Paris (État civil). Archives municipales de Toulouse (État civil). Archives municipales de Vincennes (État civil).

[1] La Rue des Noyers a été absorbée par le Bd Saint Germain . Elle allait de la rue de la Harpe à la rue de la Montagne –Sainte-Geneviève, rive gauche, actuel 5èmearrondissement.

[2] Archives municipales de Toulouse. Le livret militaire de Jules Rougé donne comme date le 27 janvier 1857, fils de Eugène décédé et de Marie-Anne Deherme non mariés.